TGP CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL DE SAINT-DENIS – JULIE DELIQUET

Prix Nobel de littérature, Svetlana Alexievitch fait entendre la voix des combattantes invisibilisées. Ce récit admirable, aujourd’hui inaccessible en Russie, est brillamment mis en scène par la talentueuse Julie Deliquet.

C’est un de ces appartements communautaires de l’après-guerre soviétique. On s’y entasse, on partage tant bien que mal cuisine et sanitaires. Dans ce décor de linge qui sèche, face à une jeune journaliste, des femmes venues des quatre coins du pays, sortent de leur silence. Staline les a envoyées adolescentes au front quand l’armée d’Hitler était aux portes de Moscou. Svetlana Alexievitch, en ce printemps 1975, recueille leurs récits par centaines. L’enfer n’est pas racontable, alors elles seules peuvent se comprendre. En se révélant, l’Histoire peu à peu « s’humanise », la pièce se charge en odeurs et couleurs, remonte le cours du temps.
Julie Deliquet interroge la condition des femmes touchées par les guerres en général, celles oubliées par l’Histoire.

Création 2025 — Coproduction Équinoxe –Scène nationale de Châteauroux

Presse

Julie Deliquet réunit dix magnifiques comédiennes pour une adaptation éblouissante du texte de Svetlana Alexievitch sur les anciennes combattantes de la Grande Guerre patriotique. Passionnant !

Les femmes servent à engendrer des guerriers ou à assurer leur repos : on leur confie rarement les armes, et la guerre est toujours racontée par les hommes. En 1983, Svetlana Alexievitch publie la première collecte de récits des anciennes « filles du front » de la guerre soviétique contre le nazisme. Brancardière, tireuse d’élite, agent de renseignement, adjudant-chef, lieutenant ou sergent : elles ont partagé avec les soldats la fatigue et les risques, les marches et les galetas, la trouille et les coups, et racontent ce que le retour à la vie civile les a conduites à taire, puisqu’il fallait continuer à construire le socialisme, une fois décapitée l’hydre hitlérienne. Julie Deliquet installe son spectacle dans un réalisme inaugural où chaque comédienne incarne, dans les costumes de Julie Scobeltzine et la scénographie conçue par la metteure en scène avec Zoé Pautet, un de ces visages féminins qu’on a longtemps cachés. Blanche Ripoche est la jeune Alexievitch, questionnant ces témoins qui semblent presque étonnées d’être ainsi réunies et d’être considérées comme intéressantes. Le coup de génie de l’adaptation très réussie de Julie André, Julie Deliquet et Florence Seyvos ne tient pas seulement à l’admirable distribution chorale des paroles. Il réside surtout dans l’apparent ennui qui se dégage du début, quand la langue de bois patriotique ne s’est pas encore fissurée et que les masques ne sont pas tombés. Mais lorsque les chansons reviennent, avec l’émotion, sur les lèvres des anciennes combattantes, le récit plonge soudain dans l’intime, et les médaillées dévoilent l’envers des décorations : la guerre au féminin est une guerre au carré.

Comment écrit-on l’histoire ?

Les comédiennes quittent alors l’avant-scène pour peupler l’espace de l’appartement communautaire dans lequel elles sont réunies. Les corps se détendent, semblent reprendre vie et avouent ce que la pudeur retenait jusqu’alors. Faire la guerre avec les hommes suppose de devoir en même temps se garder de leur prédation : on pouvait se faire violer la nuit par qui on avait sauvé le jour. Ce mouvement de bascule est vertigineux. Les comédiennes sont extraordinaires de justesse et de vérité. Julie André, Astrid Bayiha, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy, Hélène Viviès, Evelyne Didi, Marina Keltchewsky et Odja Llorca sont plus poignantes les unes que les autres. Svetlana Alexievitch revendique d’écrire en littéraire plutôt qu’en historienne, et Julie Deliquet use également des ressorts de l’art théâtral pour faire comprendre ce que la guerre fait aux corps, à la psychologie et au rôle social des femmes. Mais, autre tour de force de ce spectacle palpitant d’intelligence, on comprend comment la polyphonie est indispensable au récit historique, comment le roman national peut corseter la parole, et comment le traumatisme est toujours empreint de la manière dont on l’a dépassé, digéré ou refoulé. En cela, et même si tel n’est pas son propos, Julie Deliquet offre une époustouflante leçon d’histoire sur la manière dont on l’écrit. « Elaborer un fait, c’est construire, disait Lucien Febvre dans Combat pour l’histoire. Si l’on veut, c’est à une question fournir une réponse. Et s’il n’y a pas de question, il n’y a que du néant. » En questionnant l’histoire des femmes depuis l’aujourd’hui du féminisme, Julie Deliquet et ses camarades de jeu offrent un exceptionnel moment d’intelligence collective à partager. Et si tel était l’essence du théâtre ?

Catherine Robert

JOURNAL LA TERRASSE

Distribution

D’après le livre de Svetlana Alexievitch

Mise en scène : Julie Deliquet

Avec : Julie André, Astrid Bayiha, Évelyne Didi, Marina Keltchewsky, Odja Llorca, Marie Payen, Amandine Pudlo, Agnès Ramy, Blanche Ripoche et Hélène Viviès

📷 © Pascale Fournier

Production

Traduction : Galia Ackerman, Paul Lequesne | Version scénique : Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos | Collaboration artistique : Pascale Fournier, Annabelle Simon | Scénographie : Julie Deliquet, Zoé Pautet | Lumière : Vyara Stefanova | Costumes : Julie Scobeltzine | Régie générale : Pascal Gallepe | Construction du décor : Atelier du Théâtre Gérard Philipe | La guerre n’a pas un visage de femme est publié aux éditions J’ai lu | Production : Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis | Coproduction : Cité Européenne du théâtre – Domaine d’O, Montpellier ; Comédie – CDN de Reims ; Nouveau Théâtre de Besançon – CDN ; La Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France ; Théâtre National de Nice – CDN ; L’Archipel – scène nationale de Perpignan ; Équinoxe – scène nationale de Châteauroux ; Célestins, Théâtre de Lyon ; La Rose des Vents – scène nationale Lille Métropole-Villeneuve d’Ascq ; l’EMC91 – Saint-Michel-sur- Orge ; Le Cercle des partenaires du TGP. Avec le soutien du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT.

RéserverVenir en covoiturage

Dates et horaires

Durée

  • Durée 2 h 30
  • À partir de 15 ans

Tarif

L’Avant-scène
Rencontre avec Julie Deliquet
5/05 → 19 h
Équinoxe – Le Café