De Milo Rau – Théâtre NTgent (Belgique/Brésil)

Le grand metteur en scène et vidéaste suisse, directeur du théâtre de Gand et du Wiener Festwochen, transpose la tragédie d’Antigone dans la forêt amazonienne. Habitué aux limites de la représentation, il dessine une charge politique puissante, saluée cet été au festival d’Avignon.

Nous sommes à la fois au cœur de la mythique Thèbes et du Brésil,
où la jungle amazonienne est pillée et détruite irrémédiablement par
de grands groupes industriels. À l’écran, le chœur entonne son chant tragique, redoutable diatribe contre les protagonistes. Plans filmés et séquences en direct se répondent. Milo Rau a réuni comédiens brésiliens et européens, musiciens, activistes indigènes et membres du Mouvement des sans-terre (MST), et avec leur vécu et connaissance, additionnés de notre culture gréco-romaine, réactive Antigone. Une Antigone incarnée en vidéo par l’activiste autochtone, Kay Sara, au côté d’un chœur antique composé de survivants du massacre de la police militaire contre le mouvement MST en 1996. Une allégorie de la lutte politique et de la résistance acharnée face à l’implacable cupidité d’un monde dévastateur.

Presse

« Le metteur en scène suisse réunit la tragédie grecque, l’urgence écologique, le public d’Avignon et les activistes brésiliens dans un spectacle total, militant autant qu’envoûtant.
Le metteur en scène Milo Rau a une manière hyper joyeuse de rendre poreuse les frontières d’un spectacle, de faire en sorte qu’il ne se clôture pas lorsqu’on sort de la salle et qu’il commence bien avant qu’on y entre, en invitant, par exemple, une poignée d’heures avant la première, son auditoire à venir participer à un débat entre des activistes du Mouvement des sans-terre au Brésil (MST), et celui des Soulèvements de la Terre, supposés être dissous par Gérald Darmanin, au cinéma Utopia à Avignon. Cette inscription dans le réel est l’une des forces du théâtre de Milo Rau, et elle est particulièrement puissante dans cette création d’Antigone avec ces militants brésiliens qui luttent contre la déforestation et l’expropriation des terres, mouvement qui était considéré comme terroriste par le gouvernement d’extrême droite de Bolsonaro. Qu’une pièce engendre une activité pérenne à l’endroit où elle est créée fait partie des dix commandements du NTgent, le théâtre municipal de Gand en Belgique, dont le metteur en scène s’apprête à quitter la direction après cinq ans de service. Avec Antigone in the Amazon, la création de la pièce dans la province de Pará s’accompagne effectivement de plusieurs actions pérennes : une campagne contre Nutella qui ravage la région à cause de ses besoins en huile de palme. Mais aussi la conception de réseaux pour diffuser en Autriche et Allemagne du chocolat et le riz produits en Amazonie et inventer ainsi une économie réellement durable. Une «micro-écologie», selon le terme de Milo Rau, qui consiste à «occuper le capitalisme comme MST occupe la terre», rien de moins.

Le metteur en scène suisse fait feu de tout bois. L’actrice activiste autochtone Kay Sara, qui devait incarner Antigone a renoncé à jouer une poignée de jours avant la première de la pièce, car selon elle, sa place n’est pas sur une scène de théâtre mais bien d’être active au sein du Mouvement des sans-terre – fondé à la toute fin de la dictature militaire en 1984 et regroupant près de 500 000 travailleurs ruraux. Face à la disparition de son actrice principale, n’importe quel metteur en scène chercherait à remplacer celle qui tient le rôle titre et s’offusquerait de sa décision. Pas Milo Rau, que l’on rencontre à Avignon où il vient d’arriver : il comprend et adoube son actrice. Il introduit cette absence notable dans le déroulement de la pièce, et en fait même un élément clé de sa dramaturgie. Il suffit, comme il nous le dit, «d’avoir un esprit flexible». Il poursuit : «Je trouve cette place laissée vacante très intéressante. Kay Sara n’a pas pris sa décision sur un coup de tête. Cela faisait des mois qu’elle nous prévenait que cette première fois sur scène serait aussi sa dernière apparition devant un public non indigène. Plus on avançait dans le travail, moins elle était d’accord avec l’idée de monter sur un plateau. On a sous-estimé tous les deux les contraintes de la très longue tournée sur plusieurs années, qui l’aurait amenée à beaucoup voyager hors de l’Amazonie, lieu de son combat.» La raison de sa défection est doublement politique : Kay Sara n’a pas envie d’être «fétichisée». Or, en mai 2020, pendant l’épidémie de Covid, en introduction au festival de Vienne, une vidéo où l’activiste écologiste a prononcé un discours intitulé «Cette folie doit cesser», qui a enflammé le public autrichien, allemand mais aussi suisse, dans les écoles, des enfants se sont mis à apprendre appris par cœur son texte, et se sont mis à le réciter et commencé à dire que plus tard, ils voudraient être Kay Sara ! Halte là !

Plongés dans la nuit brésilienne
La pièce commence. Elle débute imperceptiblement pendant que les spectateurs s’installent, puis se poursuit par une douce attente, lumière allumée dans la salle, loupiottes sur le plateau, recouvert d’une terre battue qu’on croirait venir d’Amazonie, minuscule halte, avec quelques chaises en plastiques sur les côtés. La nuit est noire, sans pollution lumineuse ni étoile, comme elle l’est souvent en Amérique latine. Les quatre acteurs en chair et en os vaquent à leurs occupations, l’un d’eux joue de la guitare doucement, une spectatrice fredonne le tube de bossa-nova avec lui, les retardataires ont le temps d’arriver. Ce moment d’attente se prolonge, dure un peu plus que l’ordinaire, nous fait glisser de spectateur de théâtre à un autre état, on entend le bruit des animaux, l’air du théâtre Vedène a beau être sec et climatisé, on est plongés dans la nuit brésilienne, et il n’y a besoin d’aucun élément de décor mais d’une lumière tranchante et précise pour nous le signifier.

Ce moment d’attente ravive le souvenir d’un passage de l’Air de la guerre, livre de Jean Hatzfeld où le journaliste expliquait combien ces temps intermédiaires, où rien ne semble se passer, étaient constitutifs des conflits armés. Car de massacres, il sera bien question, dans cette Antigone où se joue à la fois la tragédie de Sophocle contre la tyrannie et le combat éternel de celle qui veut offrir à son frère de dignes funérailles et dit non à Créon, l’histoire du MST, en lutte pour un plus juste partage des terres et un nouveau système économique, et la création empêchée d’une pièce et de ses acteurs professionnels et non professionnels, indigènes et européens, en Amazonie, et aujourd’hui ici. Compliqué ? Trop de mise en abyme ? Eh bien non ! Avec une grande clarté, Milo Rau et ses acteurs parviennent à ce qu’on saisisse une multitude de strates qui ont pour ligne de fuite cette Antigone disséminée dans le chœur ou interprétée par Kay Sara en vidéo. L’acteur Arne de Tremerie est devant nous, en chair et en os, tandis que les images qui reconstituent l’un des plus grands massacres durant une manifestation le 17 avril 1996 par la police militaire, est projetée derrière lui. Il joue Hémon, l’autre frère d’Antigone, mais aussi son propre rôle. C’est lui qui nous explique comment la troupe répéta et restitua cette répression où périrent 21 manifestants, et 69 autres blessés, à l’endroit même où elle eut lieu.

Moment magique
Milo Rau sait faire dialoguer les présents avec les absents comme personne, produire le sentiment que les échanges ont lieu ici et maintenant, rendre vivantes les images. Les premiers rangs ne reçoivent-ils pas un peu de terre lancée par l’acteur activiste Frederico Araujo, tandis qu’Antigone portée par Kay Sara tente d’enterrer son frère ? Dans ce dernier spectacle, les images vidéo tiennent lieu à la fois de mémoire et de géographie. Elles se déploient sur un écran qui couvre toute la cage de scène, si bien que ce sont les acteurs en chair et en os, qui peuvent parfois apparaître comme des petites figurines, face, notamment au chœur gigantesque constitué de militants du Mouvement des sans-terre. Moment magique où s’entrelacent présentation de chacun dans sa singularité, pédagogie et parole rythmée qui mute en un chant magnifique et embarque toute la salle. C’est tout l’art de Milo Rau que de savoir transcender un théâtre qui pourrait être purement militant et didactique en épiphanie. Leur cheffe de chœur la jeune activiste Kananda Rocha Xavier, et leadeuse Maria Raimunda Cesar, sont dans la salle, à Avignon, et découvrent pour la première fois cette création où elles sont à l’écran. Longues ovations lors des saluts ! Elles ont quitté leur place de spectatrices pour rejoindre leurs camarades sur le plateau.  »

Anne Diatkine – LIBÉRATION

Distribution

Conception et mise en scène : Milo Rau.
Avec Frederico Araujo, Sara De Bosschere, Arne De Tremerie, Kay Sara et Pablo Casella (musicien) et en vidéo Zé Celso, Gracinha Donato, Celso Frateschi, Célia Maracajá et le chœur des militantes et militants du Movimento dos Trabalhadores Sem Terra (MST)
Concept et dramaturgie : Milo Rau
Texte : Milo Rau
Ensemble music : Elia Rediger
Dramaturgie : Giacomo Bisordi
Décors et costumes : Anton Lukas, Gabriela Cherubini, An De Mol, Jo De Visscher
Lumière : Dennis Diels
Video : Moritz von Dungern

Production

Production : NTGent
Coproduction : The International Institute of Political Murder (IIPM), Festival d’Avignon, Romaeuropa Festival, Manchester International Festival, La Villette Paris, Tandem – Scène nationale (Arras Douai), Künstlerhaus Mousonturm (Frankfurt), Équinoxe – Scène nationale (Châteauroux), Wiener Festwochen, en collaboration avec Movimento dos Trabalha- dores Rurais Sem Terra (MST), avec le soutien de Goethe Institut Saõ Paulo, PRO HELVETIA programme COINCIDENCIA – Kulturausch Schweiz – Südamerika, The Belgian Tax Shelter

Complet

Dates et horaires

Durée

  • Durée 1h45

Tarif

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